lundi 27 novembre 2017

Les guetteurs



 Gardiens
          gardant le clair
           au creux de votre cœur

Guetteurs
           griffant l’aurore
           comme on gratte une plaie

Veilleurs
           voleurs de ciel
           au nez qui le voile

Yeux grands ouverts
cœurs en alerte
et mains tendues

La nuit est vieille
la lune muette
et le vent nu

noir
juché
le merle crie
lance dix flèches haut tendues
dans le ventre roux de la nuit


lundi 20 novembre 2017

Dernière saison


Plus jamais la moisson 
Plus jamais la vendange ?
Plus jamais sur ta lèvre le goût du raisin mur 
Entre tes dents le grain crissant des mûres ?

Plus jamais les chemins 
Plus jamais les orages ?
Plus jamais sous ton pas la feuille qui s’étonne ?
Plus jamais les renards, les moineaux, les automnes ?

Si plus jamais la terre
Où donc t’en iras-tu
Quand le dernier nuage aura posé son ombre
comme un à-dieu doux sur ton visage nu ?

Où te retrouverai-je 
Sous quels cieux 
En quelle heure ?
Où t’en vas-tu, mon cœur,
     sans moi ?


Soleil courbé, aquarelle d'Hervé Espinosa




vendredi 10 novembre 2017

Antonio Machado / Le chemin



Jamais je n'ai cherché la gloire
Ni voulu dans la mémoire des hommes
Laisser mes chansons
Mais j'aime les mondes subtils
Aériens et délicats
Comme des bulles de savon.
J'aime les voir s'envoler,
Se colorer de soleil et de pourpre,
Voler sous le ciel bleu, subitement trembler,
Puis éclater.

A demander ce que tu sais
Tu ne dois pas perdre ton temps
Et à des questions sans réponse
Qui donc pourrait te répondre ?

Chantez en chœur avec moi :
Savoir ? Nous ne savons rien
Venus d'une mer de mystère
Vers une mer inconnue nous allons
Et entre les deux mystères
Règne la grave énigme
Une clef inconnue ferme les trois coffres
Le savant n'enseigne rien, lumière n'éclaire pas
Que disent les mots ?
Et que dit l'eau du rocher ?

Voyageur, le chemin
C'est les traces de tes pas
C'est tout ; voyageur,
Il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur ! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant des chemins
Des chemins sur la mer.


Chemin, aquarelle d'Hervé Espinosa

 (Je retranscris ici le poème préféré d'Hervé Espinosa, qui a été lu mardi, 
jour de ses obsèques.)