jeudi 19 avril 2018

Gracias a la vida / Violeta Parra / Dom la Nena


Envie de partager ce pur moment de grâce, chanté par la lumineuse Dom La Nena, sur les mots de la non moins merveilleuse poétesse chilienne Violeta Parra. Parce qu'il y a des jours (malgré tout, malgré tout...) où l'on a envie de dire merci à la vie.



Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me dio dos luceros, que cuando los abro,
Perfecto distingo lo negro del blanco
Y en el alto cielo su fondo estrellado
Y en las multitudes el hombre que yo amo
 
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me ha dado el oido que en todo su ancho
Graba noche y dia, grillos y canarios,
Martillos, turbinas, ladridos, chubascos,
Y la voz tan tierna de mi bien amado
 
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me ha dado el sonido y el abecedario;
Con el las palabras que pienso y declaro:
Madre, amigo, hermano, y luz alumbrando
La ruta del alma del que estoy amando
 
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me ha dado la marcha de mis pies cansados;
Con ellos anduve ciudades y charcos,
Playas y desiertos, montanas y llanos,
Y la casa tuya, tu calle y tu patio
 
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me dio el corazon que agita su marco
Cuando miro el fruto del cerebro humano,
Cuando miro al bueno tan lejos del malo,
Cuando miro al fondo de tus ojos claros
 
Gracias a la vida que me ha dado tanto
Me ha dado la risa y me ha dado el llanto
Asi yo distingo dicha de quebranto,
Los dos materiales que forman mi canto,
Y el canto de ustedes que es mi mismo canto,
Y el canto de todos que es mi propio canto
Gracias a la vida que me ha dado tant
 

jeudi 12 avril 2018

Etre là



Dans la clairière à droite, passée la ligne à haute tension, elles étaient là. Un tapis de cloches jaunes jaillies parmi les ronces, courtes sur tige, trapues, corolles lourdes, infiniment délicates pourtant, avec des transparences de vélin. Semées en nappes par quelque Créateur prodigue, elles ondulaient à perte de vue entre les petits chênes.
Je me suis avancée, oubliant très vite le chemin.
Je me suis penchée pour les cueillir.
C’est là que ça m’a saisie, à croupetons dans la terre humide, les mains piquées d’épines – les ronces sont acerbes – le parfum de la terre m’emplissant les narines.
Le vent m’a traversée.
Les petits nuages joyeux ont roulé dans mes veines, droit jusqu’au coeur.
Et je suis devenue jonquille, épine et arbrisseau, et le printemps m’a bénie.

Être là, enfin.
Au présent.
Quand s’abolissent les frontières qui me séparent du monde.
Quand reflue ma conscience, ne laissant que l’instant jaillir comme une source. Être là comme un brin d’herbe parmi d’autres brins d’herbe, malmené par l’hiver, bruni par la neige, secoué par le vent. Être là, sans plus de quand ni de pourquoi.
M’échapper à moi-même.
Et mystérieusement, me rejoindre.
« On attrape la grâce, écrit Annie Dillard, comme un homme emplit sa coupe sous une cascade. »


[extrait de Sagesse de l'Herbe, Transboréal, 2018]

dimanche 8 avril 2018

Pour une fois / Jacques Higelin



Pour une fois
Je voudrais
Que ce soit
Sur une route qui vient de loin
Une route qui part au loin
Une route à deux voies
Celle qui monte
Celle qui descend
Pour une fois
Une première fois
Je voudrais
Que ce soit sur une hauteur
À mi-chemin de la montée
À mi-chemin de la descente
Que le monde y apparaisse
Dans sa juste splendeur
Ses semelles de vent
Ses jambes de fougères
Son sexe de volcan
Ses mains d’incendie
Ses yeux d’étoiles
Et ses cheveux d’herbes folles
Pour une fois
Une seule fois
Je voudrais
Cette première fois
Te voir seule comme moi
Monter cette route que je descends
Et que tu m’apparaisses si loin
Que je ne puisse
Encore savoir
Si tu es fille ou garçon
Marchant d’un pas gai,
Insouciant, léger
Comme le pas de celui qui n’a
pas peur de la vie
Ni de son âme
Ni de son corps
Pour une fois
Une première fois
...

(Jacques Higelin, "Beau Repaire", 2013 )

mardi 3 avril 2018

Démuni / Nicolas Bouvier

Quand tisonner les mots pour un peu de couleur
ne sera plus ton affaire
quand le rouge du sorbier et la cambrure des filles
ne feront plus regretter ta jeunesse
quand un nouveau visage tout écorné d’absence
ne fera plus trembler ce que tu croyais solide
quand le froid aura pris congé du froid
et l’oubli dit adieu à l’oubli
quand tout aura revêtu la silencieuse opacité du houx

ce jour-là
quelqu’un t’attendra au bord du chemin
pour te dire que c’était bien ainsi
que tu devais terminer ton voyage
démuni
tout à fait démuni
alors peut-être …

mais que la neige tombée cette nuit
soit aussi comme un doigt sur ta bouche.

Nicolas Bouvier, Le Dehors et le Dedans
Editions Zoé, Genève, 1990.



En écho à mon poème "Job"
à mes réflexions sur le manque nécessaire 
aux cerisiers d'Odile
à ma lecture du merveilleux texte de Marion Muller-Colard, lu ce week-end, Le plein silence
et retrouvé ce matin, comme un ami, sur le site de Sylvie-E. Saliceti.